
Benoit Feildel, vice-président Sciences et société derrière la caméra lors du tournage de l'R du temps, à l'Hôtel Pasteur
Au programme de l'émission
- #1 Débuter un projet de recherche participative
La première partie s’intéresse au projet DYNEGA, une permanence de territoire à Villejean. Elle permet à Marie Paqueteau, co-dirigeante ESS Cargo & Cie, Yves Bonny, sociologue à l’université Rennes 2 et Cécilia Querro, coordinatrice de recherches partenariales, d’aborder les questions de recherche participative.
#2 Retours d'expérience - Gudrun Ledegen, sociolinguiste au laboratoire PREFICS à l'Université Rennes 2, raconte ses différentes expériences en recherche participative, tout d’abord sur le projet européen "Fusée de détresse". Elle partage également son expérience d’analyse d’un chat de prévention du suicide où elle fait un retour aux spécialistes qui accompagnent des jeunes en détresse.
Puis, Thomas Houet, co-directeur de la Zone Atelier Armorique (CNRS), travaille à co-construire des scénarios d’évolution des paysages à l’horizon 2050. Il explique l'intérêt d’une approche conjointe avec des spécialistes des bassins versants, des élus locaux, des agriculteurs pour une approche environnementale plus cohérente.
#3 Recherche-création, une autre forme de recherche participative Gros plan sur la création d’une pièce de théâtre à la prison Jacques Cartier. Gaïd Andro, historienne, laboratoire Tempora à l'Université Rennes 2 et Marie Parent, metteuse en scène, Cie la Morsure, embarquent d'anciens personnels et résidents dans l'aventure, la conception d'une pièce de théâtre où l'expérience devient matériau.
#4 Aller plus loinEn guise d'ouverture, Benoit Feildel, vice-président Sciences et société à l’Université Rennes 2 élargit le propose sur le contexte et l'avenir de la recherche participative.
En résumé
Les recherches participatives intègrent des acteurs variés, citoyens et citoyennes, associations, collectivités, aux processus de recherche. Elles favorisent des échanges entre savoirs académiques et savoirs professionnels. Cette interaction part souvent de rencontres. Les recherches participatives permettent, non seulement de produire des connaissances plus proches des réalités du terrain, mais aussi de renforcer l’impact sociétal des travaux de recherche.
Bonjour à toutes et à tous,
Nous sommes très heureux de vous retrouver pour la seconde édition de "L'R du temps". "L'R du temps", l'émission qui parle de l'actualité de l'Université Rennes 2 et fait écho à des sujets de société. Aujourd'hui, nous allons aborder le sujet de la recherche participative, comment un côté des chercheurs enseignants et de l'autre des citoyens professionnels, arrivent-ils à travailler ensemble ? Sur quels thématiques échangent-ils et construisent-ils des projets en commun ? Parmi ces dialogues actuels entre la science et la société, nous vous proposons de dévoiler des projets engagés et éminemment vivants.
Au sommaire de cette émission, nous allons tout d'abord découvrir un projet qui prend le temps de construire une recherche participative. Puis, nous irons rencontrer deux chercheurs qui nous partageront leur expérience en matière de co-construction des savoirs. Pour continuer sur une touche artistique, nous avons donné rendez-vous un duo féminin, une historienne et une metteuse en scène qui conduisent ensemble une recherche création. Et enfin, nous échangerons avec le représentant de la recherche participative à l'université. Ce sera l'occasion de voir comment la participation peut être un laboratoire de transformation sociale et d'ouverture. Et nous espérons vous donner envie, vous spectateurs, de vous engager. L'air du temps quand citoyens et chercheurs coopèrent ensemble, c'est parti !
Nous sommes ici en plein cœur de Rennes à l'Hôtel Pasteur, bâtiment majestueux qui a abrité pendant plus de 70 ans la faculté des sciences de Rennes. Aujourd'hui, la ville de Rennes a permis son évolution vers un tiers lieu. Ici, on a des résidences de 3 heures à 3 mois qui permettent à tout un chacun d'expérimenter le partage des savoirs et l'entraide. Le lieu foisonne d'événements et on y fait et voit plein de choses. C'est très important, on s'y croise en souriant et avec le goût de la rencontre. Alors avant de rejoindre le premier plateau, nous allons découvrir un exemple de recherche participative avec une drôle de cabine téléphonique.
Bonjour, je m'appelle Pierro, je travaille à la Maison de quartier La Touche où nous sommes en ce moment et je vous présente la cabine de témoignage. Ce qui s'est passé, c'est qu'on a enquêté sur le quartier auprès des habitants. En fait, on est tombé sur des témoignages très riches. On s'est demandé comment on pouvait faire pour en récolter et les partager. C'est là qu'est venu l'idée de construire cette cabine de témoignage. Notre parole, nos histoires, nos récits sont faits pour être partagés. Depuis quelques années, on travaille sur le vivre-ensemble au sein du quartier. L'idée, c'est de donner la parole à des gens qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer et qui pourtant ont des choses à dire. À ce moment, on a réuni un collectif d'habitants qui s'est lancé dans un débat d'idées de ce qu'on pouvait construire et qui sont arrivés à se mettre d'accord. C'est un comité éthique de l'université qui nous a accompagnés pour être certain qu'on ait l'accord de la personne pour publier son témoignage. Toute cette base de témoignage peut servir pour des projets de recherche qui vont exploiter les récits des habitants du quartier. Je trouve ça important justement de tisser des liens entre les citoyens et l'accès au savoir, au monde de la recherche. Et je trouve ça naturel qu'un projet comme celui-là puisse servir à des projets de recherche.
Pour justement introduire cette émission sur les recherches participatives, je suis très heureux d'accueillir nos invités pour cette table ronde. Et on va parler de "comment ça commence la recherche participative", notamment avec un projet qui relie l'université de Rennes 2 et son quartier d'attache villejean. Et pour ouvrir cette table ronde, je vous propose de regarder un micro-trottoir que nous avons enregistré lors de la journée recherche à l'université Rennes 2, où nous demandons aux personnes présentes "Pour vous la recherche participative, C'est quoi ?"
"Pour vous, la recherche participative, si elle devait être un mot, qu'est-ce que ce serait et pourquoi ce mot ?"
Commun
Partage
Tous et toutes, chercheurs et chercheuses. Ça fait beaucoup de mots à la fois !
Des relations symétriques
Faire société
Réciprocité
Engagement
On est habitué en tant que chercheurs à parler devant les étudiants dans les colloques et donc on est plutôt dans des relations symétriques. C'est nous qui transmettons des connaissances. Construire un cadre de collaboration qui soit bienveillant, admis par l'ensemble des partis, et qui permet à chaque composante d'un projet de recherche participative de s'y retrouver, d'avoir un intérêt de recherche. Les recherches action participatives impliquent de vraiment s'engager émotionnellement, les uns avec les autres, et de définir un but commun pour lequel on a envie de travailler.
Je me tourne vers vous, Cécilia. Vous êtes professionnelle de l'accompagnement et vous avez été responsable du projet tissage. Tissage, c'est un incubateur qui a entraîné une trentaine de projets de recherche participative. On se demande au regard de ce micro-trottoir. Pour vous, qu'est-ce que ce serait faire commun, faire recherche participative si vous deviez illustrer ça par un mot ?
Les recherches participatives, c'est très vaste de répondre à cette question-là. Déjà, c'est un univers polysémique. Il y a plein de façons de faire recherche avec. Et donc, c'est très vaste. Quand on entre dans les recherches participatives, on entre dans une pelote. Et à chaque fois qu'on tire un petit bout de ficelle, on tire un énorme bout de ficelle. Et c'est un univers en soi. Mon travail consiste à mettre ces différents acteurs et actrices en relation et à faire en sorte que leurs partenariats de recherche fonctionnent. Mais pour coopérer, pour faire commun, il faut des méthodologies. Ça ne se fait pas comme ça, parce qu'on se rend compte que les uns et les autres ne parlent pas le même langage, ils n'ont pas la même temporalité, ils n'ont pas les mêmes intérêts. C'est la raison pour laquelle, au sein de Tissage, la plateforme de recherche participative, s'est intéressée beaucoup à l'émergence de... Voilà, on avait un appel à projet émergence. On a beaucoup travaillé sur l'émergence, en se disant que, quand on posé les bases, ça permet après à ce que la suite du projet soit plus sereine.
Justement, on a avec nous Marie et Yves, qui sont en train de faire émerger un projet de recherche. Avant d'en parler plus en détail, j'avais envie de savoir pour vous ce que ce serait votre mot, ce totem, qui permet d'illustrer les recherches participatives. Marie, si tu souhaites commencer.
Ça marche. Moi, j'ai deux mots. On parlait de culture commune tout de suite. Du coup, le premier, ce serait banane, parce que c'est notre code, justement, dans ce travail en collaboration. On vient d'univers très différents, et on utilise des vocabulaires aussi différents. Quand on ne comprend pas un mot, on balance "banane" et ça remet tout le monde sur le même pied d'égalité. Et le deuxième, plus sérieusement, c'est le mot alliance. Alliance dans le faire-ensemble avec les différentes parties prenantes sur des objectifs communs.
OK. Donc banane et alliance du côté de Marie. Yves, de ton côté, ce serait quoi ce mot totem ? C'est peut-être d'ailleurs un de ceux que Marie a cité.
Moi, je dirais implication et réciprocité. Implication, parce que je pense que pour les universitaires, s'engager dans une recherche participative, ça suppose une certaine posture et un certain pas de côté par rapport à la posture classique. Et puis réciprocité, parce que comme on travaille avec des partenaires, il faut que le partenaire s'y retrouve pleinement, autant que les chercheurs eux-mêmes. Marie Paqueteau, vous êtes co-directrice de l'ESS Cargo et Compagnie. C'est un tiers lieu à l'université qui fait une multitude de choses. On se demande d'ailleurs, où vous trouvez tout le temps pour faire toutes ces activités. C'est aussi surtout un lieu qui propose de dépasser les barrières entre l'université et le quartier Vilejean et ses habitants. Et donc, ça nous amène au projet que vous mettez en place ensemble, qui vise à installer une permanence de territoire dans le quartier Villejean. Et ce projet qui s'appelle DYNEGA implique différentes personnes. Je souhaitais savoir un petit peu qui sont les acteurs impliqués dans DYNEGA. Alors déjà, pour replacer un petit peu ce travail en collaboration, c'est vraiment sur notre dimension de tiers-lieu apprenant. On est vraiment en lien avec le campus universitaire. Et l'idée, c'est de pouvoir faciliter le lien, justement, entre le quartier et le monde de la recherche. En termes de partenaires, on va travailler avec l'association "Rencontre et culture" qui est à la Maison quartier de Villejean. Yves, justement, on va vous présenter. Vous êtes sociologue au laboratoire ESO. Et en fait, la recherche participative, c'est véritablement votre objet de recherche. Expliquez-nous un peu ou explique-nous un peu comment tes recherches ont évolué ces dernières années ? Alors effectivement, j'ai deux volets dans mon activité. À la fois, je mène des recherches participatives et j'étudie les recherches participatives. J'essaye de comprendre comment elles se déroulent dans différents univers. Pour ce qui est des recherches que je mène, je venais de terminer une recherche qui portait sur trois quartiers de Rennes. Et en fait, ça s'appelait Tilt. Et je me suis dit, ça serait quand même intéressant qu'on investisse davantage le quartier sur lequel l'université elle-même est implantée, à savoir le quartier Villejean.
Notre quartier d'attache, comme on l'a appelé. Je sais qu'il y a beaucoup de projets qui se mènent par les universitaires sur ce quartier-là, mais il n'y a pas de continuité, il n'y a pas de capitalisation, il n'y a pas de structuration. Du coup, je me suis dit, ça serait peut-être intéressant qu'on essaye de monter ce qu'on a appelé une permanence de territoire, c'est-à-dire d'essayer de s'installer durablement sur ce quartier. Et pour commencer cette dynamique, on va dire, on a lancé le projet DYNEGA qui est plus spécifique et plus restreint, mais qui est un peu le prototype de ce qu'on pourrait porter demain.
Vous prenez le temps de vous connaître entre acteurs, etc. Pourquoi vous travaillez comme cela ?
On travaille comme cela parce que le projet DYNEGA, il est complexe, puisqu'il mêle trois niveaux, trois types d'acteurs, les universitaires, deux associations du quartier qui sont en soutien des collectifs d'habitants et des collectifs d'habitants. Et du coup, comme il y a trois niveaux d'acteurs, faire culture commune, ça prend du temps, se comprendre, mettre en place un cadre de coopération, mettre en place des règles des principes d'action, des valeurs communes, clarifier tout cela, réfléchir aussi à comment on va piloter ce projet, parce que c'est un co-pilotage. Et on est dans une démarche qui se veut assez ambitieuse en termes de radicalité démocratique, on va dire, puisqu'on voudrait vraiment que ce soit un projet qui soit intégralement partagé et copiloté, que ce ne soit pas les universitaires qui arrivent avec leurs protocoles de recherche et qui impliquent des partenaires, mais qu'on soit vraiment dans une co-construction tout au long. Sur les enseignants chercheurs qui font de la recherche participative, ils transforment leurs pratiques en se frottant à des co-chercheurs, à d'autres chercheurs dont ce n'est pas le métier. Ils transforment aussi leur rapport au savoir, parce qu'en fait ils vont creuser davantage pour essayer de trouver un savoir pertinent.
Et alors maintenant, vous prenez encore ce temps de faire cette culture commune entre vous, il y a l'idée d'aller avec des collectifs d'habitants aussi. Marie, je me demandais pourquoi vous avez pris peut-être autant de temps, pourquoi ils n'étaient pas là dès le début et comment vous envisagez la suite avec eux ?
Je pense qu'on n'a pas souhaité les associer dès le démarrage pour ne pas créer de frustrations ou d'attentes, voilà, puisque nous-mêmes, on ne savait pas encore où on allait aller. Donc l'idée, c'était pas d'embarquer les assos et ou les collectifs sans avoir un peu une direction. Et pour autant, on a réinterrogé cette chose-là, en se disant qu'on allait pas forcément proposer un cadre plaqué comme ça et chercher l'adhésion directement. Il n'y a pas le contrat d'engagement où viendrait tous les six mois un après-midi par semaine ? L'idée, c'est vraiment de co-construire avec ces personnes cette démarche, là où elles ont envie d'aller, là où elles ont envie d'interroger, de faire émerger, etc. Quand même autour des questions des inégalités, on est d'accord ? Tut à fait. Mais les inégalités, c'est très, très large. Il y a des mots comme « jeunisme », comme « discrimination » autour du genre, etc. Oui, quand on est une asso étudiante, quel point on a ? Pour défendre ces projets, etc. Dans certaines instances, ce n'est pas évident. Et ça nous fait de remonter une question qu'on s'était posée. Quand on parle d'inégalités, on parle de liens aux politiques publiques. Que vous souhaitez tisser, ce lien-là par la suite ? Tout à fait. On a souhaité ne pas associer les élus et les instances dans notre groupe de travail.En revanche, l'idée, c'est de pouvoir leur faire part de notre démarche. Une fois qu'on aura fait émerger des problématiques, l'enjeu est bien aussi d'en échanger avec les politiques publiques et donc les élus. Il y aura des temps tout au long de la démarche où on leur présentera l'avancée de nos travaux D'accord. Yves, tu veux peut-être rebondir par rapport à ça à comment là vous avez pris le temps d'installer, de vous connaître, d'installer le cadre de cette permanence de territoire sur Ville-Jean ? On a parlé de recherche participative. Nous, on s'engage dans une recherche action participative. C'est-à-dire qu'on intègre la dimension action dans la dynamique même de la recherche. Et la dimension action, elle peut prendre effectivement la forme d'une interpellation des pouvoirs publics ou d'une rencontre avec les pouvoirs publics. Mais elle peut prendre d'autres formes. Et en fait, on est dans un dispositif qui se veut expérimental. C'est-à-dire, on ne sait pas du tout comment les collectifs d'habitants vont réagir à notre proposition, parce que nous, on leur fait finalement une proposition de recherche action. Mais on ne sait pas si ça va les intéresser. On ne sait pas sur combien de temps ils vont s'impliquer. Donc tout ça, c'est pour ça qu'on y va tranquillement et qu'on commence à les rencontrer au mois de juin. Et puis ensuite, on va les rencontrer à l'automne et on va essayer de construire avec eux un cadre qui leur convienne et qui leur donne aussi des perspectives d'action dans ce type de démarche. On va dire que le processus compte autant que ce qu'on va produire. Merci, merci à tous les trois.
Grâce à vous, on a vu comment des projets de recherche participative ont besoin de temps et d'espace, de rencontres, de dialogues pour décoller. On ne sait pas forcément où ça va atterrir, mais justement, on a rendez-vous avec Gudrun Ledegen et Thomas Houet, deux chercheurs qui mènent aussi des projets qui, eux, ont déjà atterri et on va voir précisément où.
Gudrun Ledegen, bonjour. Bonjour. Alors vous êtes sociolinguiste au Pôle de recherche francophonie interculturelle, communication sociolinguistique à l'université Rennes 2, et vous vous intéressez particulièrement au français ordinaire, c'est-à-dire comment notre langue va être appropriée, modifiée selon les générations, selon les endroits, et aussi comment on arrive à se comprendre ou pas avec cette langue. Et je vous avoue que je ne serai pas contre un petit exemple de vos recherches pour nous donner un aperçu de ce que ça pourrait être. Alors la sociolinguistique en fait, elle va s'intéresser à ce qu'on fait vraiment avec la langue, c'est-à-dire comment on l'utilise dans la vie de tous les jours, sans surveillance, sans faire vraiment attention, on n'est pas en train de faire un exposé, on discute ou on écrit, ordinairement, c'est vraiment ça l'idée. Et donc on regarde comment les gens utilisent la langue et ce qu'ils en pensent aussi. Et donc on peut par exemple regarder, quand je suis arrivée en France, il y a déjà un bon moment, je parlais comme dans le bon usage, parce que j'étais ce qu'on appelle une FLE, français langues étrangères, et les gens dans la rue, eh bien ils ne parlaient pas comme ça, et donc ça m'a beaucoup intrigué, c'est devenu mon objet de recherche que je continue à observer tout le long, sous plein d'aspects différents. Et justement, vous êtes impliqué avec Vanessa Touroud, dans la direction scientifique d'un projet de recherche participative et artistique qui a été financé par Erasmus plus à l'échelle européenne, et qui s'appelle Fusée de détresse. Alors on va regarder un extrait qui permet d'apercevoir le travail en train de se faire, mais aussi le pas de côté que ça demande pour les chercheurs. Ok, parfait. C'est un projet pour moi du côté scientifique, mais aussi qui combine le côté artistique, pour faire sonner une voix dans la société, pour faire du bruit, pour changer effectivement des réalités, si possible. Mais il doit rester, il doit rentrer, entre les deux, mon cœur balance. Donc mon rôle au sein du projet Fusée de détresse est avant tout la coordination scientifique, mais j'ai le plaisir d'être là pendant la semaine aussi sur Bruxelles, et donc je participe, comme les autres migrants effectivement, à la création artistique, à la réflexion, aux différents séminaires. En tant que chercheurs, on a une obligation à retourner dans la société et à dire effectivement nos réflexions, pour bouger les choses. Fusée de détresse a été pour moi un peu une pierre blanche, je crois qu'on dit en français, vraiment extrêmement importante, parce que j'ai participé à ce projet, et Frédérique Lecomte, la sociologue qui faisait du coup la résidence artistique à Bruxelles, disait hors de question qu'on ait un chercheur qui vienne s'installer de loin et regarder d'en haut effectivement comment les choses se passent, tu participes. Et c'est tout autre place, parce qu'on fait déjà du participatif, on fait déjà effectivement du retour vers la société, la sociolinguistique, par essence fait effectivement ça, on prend ce qui se passe dans la société, on l'analyse, et on retourne vers la société, parfois je dirais pas, des conseils, mais en tout cas des éclairages, pour parfois adoucir effectivement quelques tensions qui peuvent exister dans la société. Le dispositif artistique était de se poser la question comment on pouvait utiliser de courtes lettres de l'Encyclopédie des migrants, lue par les personnes dans la société, sachant que la majorité des personnes ne savaient pas forcément lire, pas forcément en français. Donc on a fait lire à voix haute, mais très très lente, avec des grandes pauses par chaque personne dans sa propre langue maternelle, moi on néherlandais, mais aussi en anglais, en français, etc. On a fait lire de courtes lettres, et c'est ça qu'on avait dans les oreilles, avec des petits MP3, je crois que c'était à l'époque, on était assis sur des tabourets en face de personnes qu'on a invité dans la rue, on disait, venez, venez, écoutez, et on leur lisait la lettre, celle qui choisissait, parce qu'on pouvait en proposer plusieurs, et c'était extrêmement poignant. C'est pas votre seul projet de recherche participatif, vous êtes aussi impliqué dans un autre projet qui est bien établi et auquel vous avez pris part, avec une grande association de prévention du suicide, qu'est-ce que cette association vient faire avec des sociolinguistes, pourquoi ils sont venus vous chercher en fait ? Alors, pour être totalement honnête, initialement ils sont venus chercher des gens en com', en information et communication, et on a participé dès le départ effectivement au projet, et puis on continue à travailler sur le corpus, parce que la sociolingustique va regarder ce que les gens font avec la langue, c'est-à-dire comment ils l'utilisent, tout en regardant ce qu'ils disent naturellement. Donc il y a le contenu, puis il y a la forme, la forme non pas pour corriger, mais pour venir observer comment ça marche. Et donc on regarde ce qui fonctionne, la félicité, ce qu'on appelle, et puis la disfélicité, ce qui fonctionne un peu moins bien, pour en tirer des leçons en fait vers l'association, vers les associations, parce qu'il y en a beaucoup effectivement, des tchats d'accueil de personnes qui sont en mal-être, etc. Et donc l'idée c'est de pouvoir en tirer des leçons, et de faire en sorte que ça retourne aussi vers la société, en termes d'éclairage de ce que c'est que ce tchat, comment ça marche, à quoi ça sert, et comment on peut être accueilli. Alors, vous avez beaucoup d'expériences, parce qu'il y a aussi d'autres projets que vous avez menés, de manière participative, collaborative. Pour vous, qu'est-ce que ce serait des apprentissages, des points spécifiques à retenir, si vous aviez un projet à monter bientôt, là, prochainement, qu'est-ce que vous aimeriez que ça contienne, pour que ça fonctionne bien ? Je crois que justement, Fusée de détresse, je disais tout à l'heure que c'était une pierre blanche, je crois que ce qui est important effectivement, c'est de construire, de co-construire dès le départ, vraiment de façon très, très intense en fait, tout le long naturellement aussi, et puis de trouver un moyen, et sur le sujet en question, c'est pas du tout simple, de trouver un moyen de retourner l'information vers la société. Et là, on essaye peut-être davantage de travailler avec l'artistique, parce que c'est un métier en soi aussi, comme le journalisme, c'est un métier en soi, mais là, sur des sujets aussi sensibles, et donc pareil, de réfléchir peut-être les projets, dès le départ aussi avec l'artistique, comme Fusée de détresse. Ça, c'est les fils rouges, c'est le côté, d'emblée avec les associations, d'emblée avec l'artistique, d'emblée avec le public. C'est ça le grand socle en commun que je voudrais bien bien réussir à tenir dans ce projet-là. On vous souhaite tout le meilleur pour ces projets de recherche participative. Merci beaucoup, Gudrun. Merci beaucoup, vraiment, sincèrement.
Bonjour Thomas, tu es spécialiste des paysages, tu travailles au laboratoire LETG qui est basé à Rennes 2 et tu as la chance de travailler dans un immense laboratoire à ciel ouvert qui s'appelle la Zone Atelier Armonique qui comprend trois sites, un site urbain avec la ville de Rennes, la Pleine-Fougères et le Marais-de-Sougeal Je voudrais que tu me racontes un peu et dire aussi que ça fait 30 ans en fait que des chercheurs travaillent sur ce site donc tu hérites aussi de tout ce travail là et tu n'oublies pas en fait de t'adresser aux jeunes publics ? Oui tout à fait, je travaille dans le domaine de l'environnement en géographie et en fait pour travailler sur ces milieux il faut qu'on puisse aussi sensibiliser les plus jeunes publics, leur diffuser, leur vulgariser les travaux de recherche qu'on peut y mener de façon à ce que ce soit eux qui prennent les rênes de notre avenir notamment pour tout ce qui est respect des milieux, entretien des paysages et compréhension en fait de tous les acteurs qui permettent de favoriser la présence des oiseaux, des poissons dans des milieux comme le Marais-de-Sougeal. Sur le projet européen Alice vous explorez des scénarios de demain disons dans une perspective à 50 ans concernant les paysages, l'agriculture et l'urbanisation. Est-ce que tu peux me raconter un peu le postulat de départ ? Comment vous avez pensé ce projet là ? Alors le projet Alice, un projet qui a été financé par l'Europe, qui a regroupé plein de disciplines différentes, on avait donc des géographes, des hydrologues, des climatologues, des modélisateurs et l'idée en fait c'était d'imaginer l'évolution de nos paysages à l'horizon 2050. Pour ça on a utilisé plein de données, plein d'outils et le postulat de départ, c'était d'imaginer et d'évaluer en fait comment les politiques d'aménagements du territoire qui se traduisent à l'échelle européenne par la stratégie nationale ou européenne pour la biodiversité. Comment est-ce que les politiques locales qui se dénomment en France par exemple des schémas de cohérence territoriaux, comment est-ce que ces politiques là se traduisent pour le maintien des corridors écologiques ? Et en fait l'idée qu'on avait derrière c'est si ça peut préserver la biodiversité sur du long terme, ça peut rendre d'autres services à la population mais aussi à la nature, de façon à préserver l'eau à la fois en quantité ou en qualité, lutter contre l'érosion des sols ou encore préserver le climat, réduire les effets du changement climatique. C'est-à-dire que si jamais on fait nos travaux de prospective de construction des scénarios, il faut absolument qu'on puisse les faire avec les acteurs du territoire parce que d'une part c'est eux qui connaissent le mieux leur territoire. Nous on est peut-être des fois un peu hors sol par rapport à ce territoire, on est des fois perçu comme des scientifiques dans notre tour d'ivoire et donc quand on va aller sur le terrain, on va les impliquer dans la phase de co-construction de ces histoires du futur, en fait c'est eux qui vont nous raconter, ah oui mais ça aura peut-être lieu plutôt ici ou plutôt là-bas et nous on va prendre ces informations, on va les traduire en données à quelque part, en cartographie par exemple, on va les faire cartographier les zones qui pourraient être les plus contributives ou celles qui pourraient changer le plus rapidement et nous on va mettre ça dans nos modèles pour voir comment ça pourrait se traduire sous forme de cartographie en termes d'évolution des paysages à long terme. Donc toi t'apportes, enfin les résultats de ton étude Alice européenne apporte une approche beaucoup plus globale et montre au pouvoir public qu'il faut aborder qu'il serait bon d'aborder ces questions écologiques de manière totalement transversale. C'est ça, alors l'enjeu il est, ce qu'on a pu démontrer à travers ce projet typiquement c'est que les services administratifs de nos collectivités travaillent très bien, elles ont à mettre en place des schémas et elles le font très bien. Le problème c'est que ça reste souvent trop en silo et donc du coup on a du mal à prendre en compte les répercussions qu'on pourrait avoir avec ce type de politique publique sur d'autres domaines comme l'agriculture ou encore, je dirais l'absence de prise en compte des autres domaines dans lesquels on ne peut pas intervenir. Alors c'est très compliqué de fonctionner de façon systémique parce qu'on a chacun notre rôle mais favoriser cette mise en relation des différents services de la planification territoriale, c'est fondamental. Comment tu es aller chercher puiser d'autres choses pour faire évoluer Alice dans un autre projet ? C'est une bonne question, les scientifiques ne sont pas toujours des très bons communicants et ils vont pouvoir diffuser leurs résultats principalement dans le domaine scientifique, dans le domaine académique. En fait quand on fait des recherches participatives, le plus important c'est de travailler pour la société. Comment est-ce qu'on peut diffuser plus largement ces résultats-là ? Je vous ai parlé des réunions publiques mais c'est encore très formel comme présentation, c'est je présente vis-à-vis D'un public. C'est pour ça qu'on commence à se pencher vers les articulations entre l'art et la science de façon à trouver des nouveaux moyens de vulgariser nos résultats de façon créative, de façon aussi interdisciplinaire, de façon à pouvoir sensibiliser les gens plus fortement au fameux récit, aux fameuses histoires qu'on raconte sur l'avenir. Un exemple c'est le projet Transcendées où ce projet vise à raconter notre histoire en faisant un cheminement avec des agriculteurs dans une ferme et en fait on leur raconte à travers ce qu'on voit sur cette balade, on leur raconte à quoi pourrait ressembler les paysages en l'avenir. Et la réaction de ces gens-là c'était assez étonnant parce qu'ils disaient mais non mais ça on ne peut pas y croire, on ne peut pas y croire et en fait c'est l'agriculture qui nous a accueillis qui nous disait mais si en fait l'installation par exemple de panneaux photovoltaïques on m'a déjà proposé et c'est beaucoup plus rentable que faire de la culture et là c'est par conviction que cette personne-là n'avait pas été dans cette direction. Et il y a quelque chose aussi moi qui m'intéresse vraiment c'est est-ce que tu penses qu'aller vers des formes artistiques ou en tous les cas d'autres médiums peut aider à faire se concilier des mondes un peu inconciliables du type climato et monde agricole qui parfois donne l'impression d'avoir beaucoup de mal à évoluer. Alors c'est une très bonne question, je dirais j'ai pas suffisamment d'expérience pour pouvoir répondre. Je pense que t'en as pas mal. Honnêtement à cette question je pense que ça peut être un bon moyen je dirais moi mon médium c'est plutôt projeter dans l'avenir et donc en fait dès qu'on parle de l'avenir ça apaise les tensions. On parle d'un objet qui est l'avenir commun de nos générations et donc du coup ça permet le dialogue. On n'est pas sur la crispation liée a des enjeux actuels etc. Alors le fait de le mettre en valeur à travers d'autres médiums artistiques, photographiques, des récits, des balades, des BD ou ce genre de choses à mon avis c'est un très bon vecteur pour vulgariser les résultats qu'on peut avoir mais en toute honnêteté c'est pas mon domaine de spécialité et donc du coup je ferai confiance aux artistes et aux personnes qui sont capables de le faire bien mieux qu'on a. En tous les cas tu leur as ouvert la porte merci Thomas on va creuser un peu plus le lien entre recherche et création et on va rejoindre l'équipe de celles et ceux qui racontent autrement le récit de l'enfermement. Merci. Merci à vous en tout cas.
Pour cette troisième et dernière partie, on reste à l'Hôtel Pasteur, mais on va vous emmener dans une recherche participative d'un autre style, la recherche création, je vous invite à découvrir en images tout de suite. Ancien détenus, surveillants, habitants du quartier, travailleurs sociaux ou fils de résistants incarcérés, ils sont les garants de ces récits d'enfermement. Bienvenue... Bienvenue en enfer. Reconvertis en membre d'une troupe de théâtre amateurs, ils ont tous un point commun, la prison Jacques Cartier. Certains y ont été enfermés, d'autres y ont travaillé, l'ont tous côtoyée, de près ou de loin. Chaque mois depuis décembre, la troupe se réunit pour jouer ensemble, improvisés à partir de leur souvenir et de leur rapport à la prison. Dehors ! Ha ha ha ! Ah vous me faites bien rire ! Dehors, il y a la souffrance ! Même moi, j'aurais jamais pu penser un jour ou l'autre, pouvoir me retrouver avec un surveillant pénitentiaire, lui serrer la main, pratiquement le prendre dans mes bras, et puis avancer ensemble dans un projet. Parce que... Parce que l'individu que j'étais il y a 20 ans, on n'est plus le même qu'aujourd'hui. Si vous, vous changez, permettez à l'autre aussi de croire qu'il a changé aussi et qu'il a évolué. Alors pour parler de cette recherche création, on accueille un duo de femmes qui fait partie de l'équipe qui en est à l'origine. On a une metteuse en scène, bonjour Marie-Parent. Bonjour. Et on a une historienne, bonjour Gaïd Andro. Bonjour. Alors, j'ai une première question pour vous Gaïd. Comment est-ce que tout ça a commencé, cette aventure de recherche en lien avec la prison Jacques Cartier ? C'est la rencontre de deux démarches. Donc moi je vais situer un peu la mienne avant, donc qui est collective, qui n'est pas une démarche individuelle, et qui était dans le cadre de la reconversion de Jacques Cartier, le rachat de l'ancienne prison par Rennes Métropole, et avec l'idée de reconvertir ce lieu en un lieu culturel et citoyen, et à partir de ce projet métropolitain, nous avons créé une association de chercheurs en sciences sociales, qui avait comme ambition première de réfléchir à comment est-ce que la recherche sur l'histoire carcérale de Jacques Cartier pouvait bénéficier finalement de ce contexte de reconversion, à la fois pour capter toutes les paroles et les récits qui se racontaient au moment où cette histoire allait s'effacer, puisque en transformant le lieu, c'était aussi effacer les traces de cette histoire. Et le deuxième enjeu, c'était de dire finalement ce lieu, il est vide, et donc on peut aussi l'exploiter pour penser des dispositifs de médiation in situ. Donc ça, c'était notre projet initial. Et donc en faisant tout ça, on a commencé par une collecte de source orale, on a commencé par réfléchir à des dispositifs de médiation avec d'anciens surveillants, d'anciens détenus, et on a commencé à rencontrer des gens en fait, et à leur demander de raconter. Et donc de manière un petit peu intuitive, j'ai pris contact avec eux pour leur dire, vu que nous on réfléchit sur différents dispositifs d'émergence de la parole, et comment on peut travailler sur la remémoration de cette histoire. Est-ce qu'on pourrait pas croiser ça avec une démarche créative artistique ? Remémoration, juste. L'idée de la remémoration, c'est comment est-ce que dans une situation, on peut se remémorer quelque chose, et comment, selon la situation dans laquelle on se remémore, on va pas se remémorer le souvenir de la même manière. Et donc en fait c'est ça qui, quand on est chercheur en sciences sociales, on connaît les entretiens, parce que c'est des situations singulières de recueil de la parole, mais en fait c'est une situation d'énonciation qui est particulière, et plus on multiplie les situations d'énonciation, plus on multiplie les manières dont les anciens acteurs vont se remémorer leurs souvenirs. Par exemple en retournant sur les lieux, ça peut être ça ? C'est retourner sur les lieux, c'est aussi utiliser des objets, on utilise des archives, des objets, on confronte en fait à leurs propres archives, les anciens détenus ou les anciens surveillants, mais c'est aussi la médiation, et puis donc le théâtre. Justement, Marie-Parent, vous vous êtes artiste, vous avez aussi des partis pris dans une recherche qui est tournée vers la création. On voit que dans ce genre de projet, on a la grande histoire qui vient se mélanger avec des histoires personnelles, pleine d'émotions. Comment est-ce que vous faites pour travailler avec ça, pour rattacher ces émotions à des éléments qui sont concrets, des lieux, des archives personnelles, des lettres ? Alors la petite histoire est la grande histoire, évidemment nous on amène les gens à raconter leurs histoires, qui sont forcément une reformulation, puisqu'on estime sans doute que le souvenir n'existe pas, et qu'on le remet en scène déjà soi-même, subjectivement c'est une façon de remettre en scène, en autofictionnant les choses, etc. Et donc on travaille comme ça, pour permettre aux gens, et on va confronter, en fait c'est tout l'intérêt de cette démarche, cette mémoire subjective, non seulement Dans le principe mais par le prisme du théâtre, qui va fictionner, qui va vers la fiction, qui fait fiction, et confronté à des éléments objectifs, scientifiques, rationnels, peut-être qu'on va rencontrer avec l'histoire. Alors moi j'essaie d'un peu résumer. Donc il y a cette première phase, où vous co-construisez une enquête, où vous récupérez de la matière, Gaïd, tu le disais, vous êtes présentes au moment des journées portes ouvertes, etc. Donc vous interrogez, vous récupérez de la matière, et puis finalement, vous commencez à co-construire un collectif. Tu disais, on apprend aussi à se connaître en passant le balai. C'est aussi comme ça qu'on fait tomber un peu, et qu'on se met à l'horizontalité, ou qu'on crée quelque chose de l'ordre du collectif. Oui, alors ça c'est vraiment une des dimensions fortes de notre projet de recherche, et c'est en ce sens qu'il est participatif, et c'est en ce sens que faire des recherches participatives, c'est un peu singulier. C'est aussi se décider de sortir, évidemment, de son laboratoire de recherche, de se positionner dans un espace social qui là est la prison en reconversion, mais aussi de se laisser aller à ce que ça produit. Et ce que ça produit comme situation sociale et comme interaction avec les gens, ce que ça produit comme relation avec les gens, parce que ça crée des rapports de complicité, des rapports qui nous sortent du cadre académique, et qui nous sortent aussi de notre manière de fonctionner habituelle. En fait, on cherche d'autres personnes, pour venir enrichir le collectif. Oui, parce qu'il y a cette idée aussi que ce collectif qui existe depuis un an et demi, deux ans, il ne faut pas non plus qu'il s'enferme sur lui-même. Donc on a ouvert des appels à participation aux ateliers théâtres, à d'autres gens qu'on ne connaissait pas. Donc on a la moitié de l'atelier qui est avec des gens qui sont dans la démarche participative de l'enquête orale et des médiations depuis un an et demi, et puis l'autre moitié qui nous ont rejoint au cours de route. Qu'on a peut-être attiré, d'ailleurs, grâce, en tout cas, avec le théâtre, parce qu'il y a des gens qui ont dit, « Ah, moi, ça m'intéresse de mettre ça en scène, de participer ». Il y a des gens que ça a pu angoisser, qui étaient d'ailleurs dans ce premier collectif. En tout cas, c'était une dimension supplémentaire qui venait nourrir votre projet. Est-ce que vous pourriez peut-être nous donner un exemple ? Initialement, on avait des personnes qui ont vécu soit en tant que gardien de prison, soit en tant de personnes qui étaient enfermées, soit en tant que voisins. On a des gens qui sont des non-comédiens, on est bien d'accord. Nous, on a l'habitude de travailler avec... C'est toujours dur ces appellations, Est-ce qu'ils sont non-comédiens, non-acteurs ou actrices ? Moi, je n'ai pas trouvé mieux. On les accompagne parce qu'on trouve que nous, on aime la question du langage, c'est un peu banal de le dire comme ça, mais on aime bien que les gens trouvent leur langue par leur langue, on aime bien le patois dans le sens large, c'est-à-dire qu'il n'est pas la langue pointue. Et donc que les gens viennent avec leurs articulations et leurs vocabulaires, leurs champs sémantiques. On ne cherche pas, d'ailleurs, c'est pour ça que nous, notre Compagnie, elle a cette spécificité de travailler avec l'improvisation dans un cadre dramaturge établi, mais pour laisser une certaine liberté dans cette parole. Personne n'apprend jamais de texte, ou alors dans certaines parties du spectacle, mais globalement, le texte, il est improvisé. Donc on fait jouer les non-acteurs, et finalement, on les accueille avec ce qu'ils sont. Donc c'est pour ça qu'on leur permet, on essaye, en tout cas, de poser un cadre qui leur permet d'exister en tant que sujet de leur histoire. Quand on fait de l'histoire, on a l'habitude de soit faire des entretiens, soit de dépouiller des archives et de capter la parole, là où on peut la capter, pour après, la faire rentrer dans sa mise en récit historique. Et c'est ça qu'on apprend à faire quand on fait des études d'histoire, et c'est ça la méthodologie, ou l'espistémologie de la discipline, on va dire. Moi je trouvais que c'était un énorme souffle de liberté et même de posture éthique de l'historien, de se dire on va pouvoir trouver un espace dans lequel on va avoir des témoins qui vont parler, mais c'est pas leur parole, énoncée à un moment donné qu'on va mettre dans mon récit historique, comme c'est de l'improvisation, chaque prise de parole, ils peuvent re-décider de re-raconter autrement. Ils restent toujours propriétaires de leur parole. Et ça, je trouve que quand on est historien, c'est comme si c'était s'enlever d'un poids de culpabilité, de réduire toujours les individus à une parole énoncée à un moment donné. Comment vous faites, parce que ça peut être extrêmement intense, un moment quand vous allez demander à des personnes de revenir dans leurs archives personnelles et de retransmettre un récit que peut-être ils ont oublié ou qu'ils voient sous un jour nouveau, ça peut être assez intense. Comment vous travaillez avec ça pour la mise en scène aussi ? C'est notre métier aussi avec Christophe, de diriger des comédiens, des comédiennes, et l'idée c'est... On n'en a pas parlé, y'a Christophe aussi. Et Fanny En tout cas, c'est notre métier, et métier dans le sens de façon générale, mais aussi en particulier avec le travail qu'on effectue avec des gens qui peuvent être éloignés ou exclus d'un endroit savant, d'un endroit de la culture, puisque c'est une des particularités de notre compagnie, de mettre les gens dans un état, voilà, comme je disais, sécure Et ensuite, pour pas que les gens soient trop dans la frontalité, dans l'angoisse et leur souvenir, il y a la mise en scène, il y a le fait de décaler avec quand même parfois la stylisation du texte. Alors, vous nous avez quand même pas parlé de est-ce que c'est facile de croiser vos univers ? Moi, je dirais juste que Marie dit que c'est impossible et c'est pour ça qu'il faut le faire, mais je la laisserais développer. Oui, en fait, c'est hyper intéressant. On aime à dire aussi que personne ne doit céder. Céder, C'est C-E-D-E-R. Parce que quand on dit on ne doit pas céder, on pourrait se dire que c'est s'A_I_D_E_R Et que c'est de ces antagonismes, ou de ces contradictions, d'un rapport à deux recherches qui, comme disait Gaïd en me citant étaient incompatibles, que va pouvoir exister. La recherche historienne et la recherche de "écrire une pièce de théâtre", qui est un objet poétique, et de croiser, enfin, de... Interprétatif, et de travailler la matière. C'est ça. Mais on pense que justement, dans cette chose qui a priori parait contradictoire, ça l'est en un sens, mais c'est aussi de cet endroit qu'on va pouvoir créer ce qu'on aime bien nous dire. C'est des chocs thermiques. Donc là, potentiellement, il y a une vérité des fois. C'est un grand sujet, de dire qu'est-ce qui est vérité ou pas, mais des fois, la fiction est plus forte que la vérité. Je pense aussi à un des acteurs du projet qui lui dit, moi, je me suis... J'ai passé toute ma période de détention à construire un personnage. Et quand je suis sorti, je ne savais plus qui j'étais. J'étais vide. Et donc on se dit que peut-être en reconstruisant des personnes et des personnages sur scène, ils peuvent se libérer et donner cette vérité. C'est une des grandes contradictions. Et comme on s'entend bien, pas uniquement au niveau affectif, mais on s'entend bien, on s'écoute, on est un peu curieux et curieuse les uns des autres, on est en train de créer une matière hybride forte intéressante. Merci Marie. Merci Gaïd. Merci à toutes les deux de nous avoir présenté votre projet. Timothée, je vais te remercier d'avoir partagé cette aventure de co-animation.
Merci Marianne. Mais avant de partir, on vient de le voir. La recherche création, ça amène son lot d'émotions dans les recherches participatives. Et d'anecdotes marquantes aussi. C'est ce qu'on a demandé de partager à la journée des recherches participatives lors du micro trottoir que je vous laisse découvrir maintenant.
Est-ce que vous auriez une anecdote qui pour vous illustre ces recherches participatives ? On était à l'EHESP pour faire une restitution d'une démarche participative avec des élèves de collèges lycées sur la question des toilettes scolaires. Avec les collégiens, on a construit des escape games et avec les lycéens, une expo et puis un photo expression. Tout au long de la matinée, je discutais avec certains lycéens lycéennes. Il y en a une au début qui m'a dit « Ouais, mais je suis en terminale, ça sert à rien de changer les choses, d'en parler, parce que les toilettes, c'est la catastrophe, et on ne peut rien y faire ». Et au fur et à mesure de la matinée, son discours s'est mis à changer et jusqu'à la fin, ou à l'après le micro en amphi, pour dire « moi, quand je vais rentrer dans mon lycée, je vais aller discuter avec mes enseignants et peut-être même à la directrice, parce que même si je pars dans quelques semaines, il faut que ça change ». Je réalise que sur ces sujets de recherche participative, de coopération, on a quand même pas mal avancé ces dernières années, même si le territoire de Rennes et de la métropole a toujours essayé de mettre en lien les acteurs, mais on voit bien qu'on est tous mobilisés et on arrive à converger vers cet enjeu de coopération. Pour des politiques, c'est important aussi de se ressourcer pour la collectivité. C'est important de pouvoir aussi s'appuyer sur l'énergie des uns et des autres. Nous, il y avait un petit astuce, c'est qu'on a produit un journal de bord tout au long de la recherche, et la journaliste qui travaille à la CORLAB qui a produit le journal de bord dépeignait avec beaucoup d'humour aussi les postures, voire aussi les tenues vestimentaires de certains d'entre nous. Et en fait, ça permettait aussi de se dérider un peu et d'avoir un peu de dérision dans notre approche et notre sujet. Et c'est, je crois, ça aussi, une condition de réussite d'un projet de recherche participatif, c'est de maintenir une envie dans un cadre d'une bonne humeur. Je dirais. Je repense à un projet qui s'intitule VilleJean-Palace, qui était soutenu par le dispositif Tissage, qu'on a valorisé sous la forme d'une exposition qui a eu lieu à l'université Rennes 2, et qui a notamment permis la venue de l'université Rennes 2 pour les enfants qui avaient contribué au projet de recherche, qui était participatif Ils ont mené une enquête sur le quartier VilleJean, sur les espaces publics. Et pour cette exposition, ils sont venus avec leurs parents, ils sont venus en grand nombre, avec les éducateurs aussi du GRPS, dans la salle de l'ESS Cargo, ici, dans le bâtiment Erève, à côté. Ce qui m'a marqué, c'est que la venue de tous ces enfants paraissait si anormal pour les services de sécurité à plusieurs moments, ce qui se passait. Et je trouve que c'est hyper intéressant et vraiment une bonne illustration qu'il est temps de changer les normes de nos institutions. Nous continuons cette émission l'R du temps et allons ouvrir le débat avec Benoit Feildel, vice-président Sciences et Société. Benoit nous avons pensé cette émission ensemble sur la recherche participative. Est-ce que tu as envie de dire quelques mots de Marie_Anaïs Le Breton qui dit finalement le côté encore inattendu d'accueillir des enfants sur le campus de Villejean. Oui bien volontiers c'est extrêmement plaisant de voir cette situation assez cocasse parce qu'elle représente un petit peu la dynamique des recherches participatives en amenant des publics potentiellement éloignés du milieu académique à s'approprier le campus qui plus est dans le cadre d'une recherche qui veut comprendre comment ils se représentent leurs quartiers, quels sont les éléments de connaissance qu'ils ont de leur quartier qu'on peut mettre en valeur. Finalement on a pensé cette émission pour tout public, l'idée de co-animer avec un doctorant ou un postdoctorant, c'est l'idée de s'adresser aux jeunes, c'est l'idée de s'adresser à tout le monde. Est-ce que tu penses que la recherche participative elle peut changer la perception qu'on a de la recherche dans la société ? Oui je le crois et c'est essentiel d'offrir ces nouveaux formats et cette émission en est l'exemple, c'est à dire rendre plus accessible, s'adapter finalement aussi aux différents publics dans la capacité à diffuser les connaissances mais aussi plus profondément travailler ensemble avec ces jeunes populations, aller à leur rencontre, aller au-devant de ces publics-là, les faire participer à des dispositifs de recherche, ça participe à démystifier la tour d'ivoire des chercheurs ou l'université et à la rendre plus accessible pour tout le monde. Mais aussi à leur donner des outils, à les "encapaciter", c'est ça aussi qui peut être intéressant c'est que finalement, à tout niveau l'enseignant-chercheur il peut outiller, de la même manière, que le font les animateurs en éducation populaire dans les MJC. Tout à fait, les enseignants-chercheurs ils produisent du savoir donc ils peuvent se traduire dans les politiques publiques, ils peuvent infléchir un certain nombre de réalités, la volonté des recherches participatives, c'est aussi d'être transformatrice mais pas à la place des populations, pas à la place des citoyens et des citoyennes mais qu'ils le fassent aussi par eux-mêmes donc c'est véritablement le sens des recherches participatives de travailler l'émancipation sociale, l'encapacitation, la maîtrise de ses conditions de vie, de son environnement et la volonté d'agir dessus, d'activer cette action en société. Et justement si après cette émission on avait envie de se projeter un peu à long terme ou à moyen et à long terme, est-ce qu'on peut imaginer ce que ça va donner ce travail des enseignants chercheurs qui sont inscrits dans les questions sociétales ? Mais effectivement l'enjeu d'être en capacité de rendre visible cette implication des collègues en recherche dans la société, la façon dont leur recherche peut être utile concrètement, c'est quelque chose d'extrêmement important donc dans 10 ans moi ce que j'aimerais c'est que ça soit véritablement reconnu, c'est que les partenariats que l'on commence à nouer avec les collectivités territoriales, faire des liens pérennes avec le quartier et une capacité de recherche qui soit véritablement au service des populations du quartier. Mais ça concerne aussi plus largement le territoire métropolitain sur les transitions socio-environnementales avec des actions de recherche comme le mène actuellement IRIS-e mais aussi avec la Région Bretagne, c'est-à-dire que dans tous les territoires du local ou plus régional, finalement on retisse le lien entre la science et la société.
Décidément, cela aura été un fil rouge, le fait de tisser des liens entre la science et la société, entre chercheurs et citoyens. Je te remercie Benoît. Merci Marianne.
CONCLUSION
J'espère que vous avez apprécié cette émission autant que nous avons pris du plaisir à la concevoir. Ces processus de recherche nécessitent du temps, nous l'avons compris au fil de nos rencontres. Ce n'est pas tant le résultat que le processus qui est important. J'espère que vous avez apprécié les porteurs de projets qui parlent des questions d'inégalité sociale, de fragilité des jeunes et aussi qui abordent les scénarios futurs pour notre environnement. Voilà, c'était la seconde émission L'R du temps sur la recherche participative. À bientôt !